La tapisserie de Bayeux

La tapisserie de Bayeux, bien inscrit au programme "Mémoire du monde".

« La tapisserie de Bayeux est un objet d’enquêtes depuis 275 ans ! » nous explique Shirley Ann Brown, professeur d’histoire de l’art à York University à Toronto*. En effet, cette tapisserie - en réalité une broderie - fascine depuis qu’on l’a présentée à l’Académie Royale en 1720, et plus de 500 publications lui ont été consacrées.

Cette tapisserie est un objet d’art médiéval sans pareil qui constitue un témoignage exceptionnel de la conquête de l’Angleterre par le Duc de Normandie et sur la vie quotidienne au XIème siècle.

I. UN TEMOIGNAGE HISTORIQUE PRECIEUX :

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© Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN – Grand Palais / Jean Gourbeix / Simon Guillot - RMN

Un récit subjectif de la conquête d’Angleterre

La tapisserie de Bayeux relate la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant et constitue un élément très important dans la reconstitution de cet épisode historique du XIème siècle, dont laquelle ne restent que peu de témoignages documentaires.Cette tapisserie a permis d’apporter une multitude de connaissances nouvelles sur l’expédition de Bretagne et le rôle que chacun a pu y jouer.

Les éléments illustrés sur les 58 scènes de la tapisserie se déroulent de 1027 à 1067, c’est-à-dire durant la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, alors Duc de Normandie. Guillaume, Duc de Normandie devait succéder au roi Edouard le Confesseur à la couronne d’Angleterre, cependant, après la mort du roi Edouard, c’est Harold qui monte sur le trône en 1066. C’est pourquoi, Guillaume et ses troupes prennent les armes pour chasser le roi illégitime lors de la bataille d’Hastings, dont il sort victorieux le 14 octobre 1066.

Si ces éléments décrits par Nathalie Gathelier, historienne de l’art et conférencière pour la Réunion des Musées Nationaux, sont les principaux faits historiques relatés sur la broderie, nous pouvons également retrouver les scènes du retour d’Harold en Angleterre et son couronnement après la mort de l’ex-roi, Edouard le Confesseur, ainsi que tous les détails de la préparation de l’expédition du Duc de Normandie, la traversée de la Manche avec son armée, ainsi que diverses scènes de vie quotidienne.

Les historiens s’accordent pour dire que le récit de la « Telle du Conquest » s’avère conforme aux autres récits de l’époque, nous pouvons toutefois constater que le point de vue des évènements est plutôt normand.

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"Guillaume et ses hommes préparent un banquet bénit par l’évêque Odon" © Clioweb Enseigner l’Histoire avec internet

En effet, l’œuvre démontre toute la légitimité de l’invasion de l’Angleterre par le Duc de Normandie, qui représente le bien triomphant sur le mal (le roi Harold, qui a pris la couronne à Guillaume). De plus, nous pouvons observer comment Harold est décrédibilisé sur la tapisserie, lorsqu’il renie un serment sacré (scène n°23 de la broderie).

Par ailleurs, mis à part le couronnement d’Harold, nous retrouvons peu de scènes décrivant la vie en Angleterre, ou du moins, un point de vue anglais des épisodes, car cette tapisserie constitue un véritable élément de propagande normand.

Des informations essentielles sur la vie quotidienne au XIème siècle

La tapisserie de Bayeux décrit des scènes historiques majeures telles que les étapes de la conquête de l’Angleterre ou la bataille d’Hastings, mais si elle apporte beaucoup d’informations historiques, il s’agit également d’un témoignage très précieux sur la vie au Moyen-Age, car nous pouvons y observer de multiples scènes de la vie quotidienne.

En termes architecturaux, nous pouvons découvrir de nombreux bâtiments civils, religieux et militaires, tels que les châteaux de Winchester et de Westminster du roi Edouard, ou encore le Mont Saint-Michel, les villes de Bayeux et de Rouen, l’église saxonne de Bosham, des maisons aristocratiques etc. Nous y observons aussi les techniques de construction des châteaux et des bateaux, ainsi que les modes de navigation de l’époque.

Cet éclairage provient également de la représentation des 600 personnages et animaux de la tapisserie, qui s’adonnent à diverses activités, telles que l’agriculture, la préparation de repas le combat, l’artisanat avec l’utilisation d’outils etc.

Les protagonistes anglais et normands de la broderie sont vêtus de la même manière, ce qui nous informe sur les modes de vie et cultures très proches de ces deux régions au XIème siècle.

Enfin, la tapisserie de Bayeux nous renseigne sur les évènements scientifiques qui se sont produits entre 1027 et 1067 car nous avons une représentation du passage de la comète de Halley en 1066. (cf. photo ci-dessous).

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La tapisserie de Bayeux illustre quelques événements inattendus, comme le passage de la comète de Halley en 1066. © Myrabella, Wikimedia Commons, DP

II. UN OBJET D’ART INEDIT

La « première bande dessinée » de l’Histoire

La tapisserie de Bayeux constitue un objet d’art médiéval inédit, de par son format et de par sa structure divisée en 58 scènes, que l’on pourrait assimiler à une « bande dessinée » médiévale, avec une scène d’introduction en latin.

L’utilisation du symbolisme est également une technique typique que nous retrouvons à l’époque romane afin d’illustrer des faits. On considère bien souvent l’art roman comme un art initiatique, qui a pour objet de transformer la structure complexe du monde en formes simplifiées.

Par ailleurs, le travail de broderie est exceptionnel pour l’époque, ce qui démontre que les techniques de broderies étaient déjà très développées au XIème siècle.

Une expertise a été réalisée entre 1982 et 1983 par l’ancien grand séminaire de Bayeux (devenu le « Centre Guillaume le Conquérant ») afin de mieux comprendre cette œuvre textile, et d’apprendre sur les techniques de broderie de l’époque caractérisées par « le point de Bayeux ».

Voici quelques éléments de l’expertise : avec 68,80m de long et 50 cm de hauteur, pour un poids d’environ 350 kg, la tapisserie de Bayeux représente un travail d’aiguille colossal. Les broderies ont été effectuées sur du lin à partir de fils de laine de près de dix couleurs différentes, réalisés avec trois colorants végétaux :

  • La garance pour les tons rouges
  • L’indigotine pour les bleus/verts
  • La gaude pour les tons jaunes

Les brodeurs de « La Telle du Conquest » ont employé quatre techniques de points différentes :

  • Le point de tige pour les écritures
  • Le point de couchage
  • Le point fendu
  • Le point de chaînette

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"Guillaume et ses hommes préparent un banquet bénit par l’évêque Odon" © CliowebEnseigner l’Histoire avec internet

De sa création à sa classification

La création de la tapisserie de Bayeux et sa découverte sont des éléments qui demeurent encore relativement flous, ce qui rend cet objet d’art encore plus fascinant et mystérieux.

D’après la légende, ce serait la Reine Mathilde et ses suivantes qui aient réalisé la tapisserie de Bayeux, les inscriptions anglaises qui y figurent laissent à penser qu’elle aurait été brodée par des moines anglais, quelques années après la conquête de l’Angleterre par le Duc de Normandie. Celle-ci aurait été commandée par le demi-frère de Guillaume le Conquérant, l’évêque Odon de Conteville.

Des sources rapportent que la première mention de la tapisserie proviendrait de l’abbé de Bourgueil, qui aurait écrit un poème en 1100 pour Adèle, la fille de Guillaume le Conquérant. Il aurait décrit dans ce poème, une broderie toute de soie, d’argent et d’or qui représenterait la conquête du trône d’Angleterre.

Cependant, la mention officielle la plus ancienne date de l’inventaire des biens de la Cathédrale de Bayeux, effectué en 1476, dans lequel son existence a été signalée pour la première fois. Puis, l’immense broderie aurait été redécouverte entre 1689 et 1704 par Nicolas Joseph Foucault, et exposée en mars 1803 à Paris sur une demande de Napoléon Bonaparte.

Ce sont toutes ces questions planant sur l’origine et la découverte de la tapisserie de Bayeux qui ont contribué à faire de cette œuvre médiévale un mythe aujourd’hui, sur lequel demeurent une multitude d’interrogations.

La tapisserie a été recommandée à l’inscription au registre Mémoire du monde en 2007. Son inscription sur le registre Mémoire du Monde traduit la reconnaissance par l’Unesco de son intérêt international et de sa valeur universelle exceptionnelle, car le registre international Mémoire du Monde est un programme de sauvegarde du patrimoine documentaire.

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Edouard meurt. Son corps est inhumé dans l’église St Pierre l’Apôtre (6 janvier 1066) © Clioweb - Enseigner l’Histoire avec internet

SOURCES :

*The Bayeux Tapestry, Shirley Ann Brown, Bayeux, Médiathèque municipale : Ms. 1. A Sourcebook, Turnhout, Brepols (Publications of the Journal of Medieval Latin, vol. 9), 2013, CVI-316 p

publié le 13/11/2019

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