Michel Wieviorka - cérémonie d’inauguration du Comité français pour les sciences humaines et sociales

Discours de Michel Wieviorka, Comité français pour les sciences humaines et sociales, lors de la cérémonie d’inauguration de MOST le 24 Octobre 2016 à la CNFU

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Les sciences humaines et sociales françaises ont longtemps joué un rôle de première importance à l’UNESCO, directement, avec des chercheurs et des penseurs qui participaient à ses initiatives, ou indirectement, en exerçant une forte influence intellectuelle. Tout au long des années 50, notamment, Claude Lévi-Strauss collabore au Courrier de l’UNESCO, et y publie des articles qui préfigurent son œuvre à venir ; c’est à la demande de l’UNESCO qu’il rédige son célèbre « Race et histoire », et, vingt ans plus tard, qu’il donne sa non moins célèbre conférence sur Race et culture, une conférence peu conforme à la ligne de l’UNESCO, ce qui en plus de la polémique, fut l‘occasion d’une rupture qui dura plusieurs années entre le célèbre anthropologue et l’UNESCO et qui est parfois aujourd’hui encore brandie à l’appui du différencialisme. Lévi-Strauss fut le premier secrétaire du Conseil International des Sciences sociales, le CISS, de 1952 à 1959. Et on pourrait citer d’autres noms des sciences humaines et sociales qui ont affirmé une présence française à l’UNESCO.

Depuis vingtaine d’années, cette présence, et notre influence intellectuelle se sont considérablement affaiblies, même si elle n’ont pas entièrement disparues, je suis un des rares chercheurs français à avoir entretenu des contacts y compris institutionnels avec l’UNESCO, j’ai siégé au Conseil du CISS dans les années 2000 (en fait, au titre de l’Association Internationale de Sociologie, que je présidais), et ai participé au Comité consultatif scientifique du Rapport mondial sur les sciences sociales qui vient d’être publié par l’UNESCO. Et j’ai constaté, et regretté, chaque fois que je participais à des Forums internationaux organisés par l’UNESCO, que les chercheurs français s’y comptaient sur les doigts d’une main, et à peine. C’est pourquoi lorsque Daniel Janicot, le président de la Commission nationale française pour l’UNESCO, m’a proposé de présider ce Conseil, et de le constituer, je n’ai pas hésité : les gestionnaires de la recherche en France parlent trop souvent d’ « internationalisation », alors même que ce que je viens de dire des carences de notre présence et de notre influence à l’UNESCO s’observe dans bien d’autres lieux de la vie scientifique et intellectuelle mondiale, il suffit de voir les chiffres catastrophiques pour la France dans les panels en SHS de l’European Research Council pour s’en convaincre. Plutôt que de parler d’internationalisation, je pense qu’il faut agir, et c’est ainsi que j’ai compris l’invitation de Daniel Janicot.

Notre Conseil marque donc à mes yeux le grand retour des sciences humaines et sociales françaises à l’UNESCO, et je l’ai composé avec soin, en veillant à la fois à son excellence – bien sûr !- et à sa diversité : parité hommes/femmes, grand nombre de disciplines représentées, variété des orientations, des âges, Paris et province…
J’ajoute que ce conseil n’aura de sens à mes yeux que par son contenu et par la qualité de nos échanges. Aujourd’hui, notre rencontre revêt une certaine solennité, notre conseil est installé par le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, Thierry Mandon, que je tiens à remercier, dans cette superbe salle Felix Eboué, si lourdement chargée d’histoire. Mais je suis convaincu que cela ne doit pas interdire une atmosphère faite d’exigence intellectuelle et d’une certaine convivialité.
Les sciences humaines et sociales à l’UNESCO sont présentes de plusieurs façons, j’ai déjà par exemple évoqué le Conseil International des sciences sociales. Ce qui nous concerne le plus directement et le plus immédiatement est le programme MOST, dont la création date de 1993, et qui vise à rapprocher nos disciplines et le registre de la décision politique, à partir en ce qui nous concerne de l’expression de notre communauté scientifique française.

En gros, MOST est là pour éclairer l’élaboration des politiques de l’UNESCO, et nous sommes là pour éclairer MOST.
J’ai bien conscience de la complexité du système que constitue l’UNESCO, et du risque qu’il pourrait y avoir pour nous à être pris dans des logiques qui ne seraient pas seulement scientifiques. Je le dis nettement, je pense que nous serons utile si nous sommes en bas, à notre niveau, pour impulser des logiques bottom up sans avoir à nous aventurer trop avant dans ce qui se passe au niveau ou au sein du système UNESCO. Dans le bottom up, je nous vois surtout bottom. Mais bien sûr, ceux d’entre nous qui voudront intervenir un peu plus up seront soutenus –il faudra bien faire remonter les fruits de notre réflexion. Mais n’ayez crainte, personne n’aura à assurer des tâches administratives, bureaucratiques ou gestionnaires.
Je voudrais donc dire maintenant quelques mots du contenu, qui est le plus important, et qui justifie que je vous ai mobilisés. Pour l’UNESCO, et pour MOST, les priorités sont la promotion de la paix, le développement durable, la justice, l’efficacité des institutions, l’égalité des sexes, la réduction des inégalités, le dialogue interculturel : rien je pense qui puisse nous effrayer.

Je voudrais vous proposer de travailler de la façon suivante :

1.-préciser le libellé de quatre ou cinq thèmes qui nous semblent prioritaires et qui prolongent les priorités stratégiques de MOST, par exemple :
- l’inclusion sociale,
- les transformations environnementales,
- les phénomènes migratoires,
- la paix, le dialogue interculturel,
- les transformations liées au numérique.
Cette liste n’est ni exhaustive, impérative, y compris dans ses formulations.
Nous pourrions, après un tour de table où chacun pourra indiquer comment il voit son implication personnelle, son apport, et ce qu’il pourra tirer de notre travail commun, discuter de ce premier point.

2.-confier à un ou deux d’entre nous qui ont des compétences particulières sur un thème retenu le soin de lancer, lors d’une prochaine séance, la discussion par un exposé très court (une vingtaine de minutes) permettant d’ouvrir une discussion générale : quel est l‘état concret de la question, et le « state of the art » de nos disciplines, quelles connaissances mériteraient des recherches nouvelles, ou plus approfondies, etc. Nous pourrions consacrer nos deux prochaines séances à deux ou trois thèmes distincts.

3. Sur certains thèmes, nous pouvons souhaiter inviter pour une séance un ou plusieurs collègues qu’il nous semblerait utile d’écouter, ne serait-c que parce que leur discipline n’est as représentée parmi nous : je propose une grande ouverture et une grande flexibilité dans notre fonctionnement. Peut-être aussi faudra-t-il vite inviter un ou deux collègues à nous rejoindre pour combler un manque qui nous semblerait trop criant –nos premiers échanges devraient nous le dire.

4. La vie de MOST et de l’UNESCO est scandée par d’importants rendez-vous, dont certains nous concernent et seront l’occasion de faire connaître le fruit de la recherche française, ou de faire remonter certaines suggestions. Je pense à la conférence mondiale des humanités du 6 au 12 août 2017, à Liège, à la conférence générale des Etats membres de novembre 2017, où l’UNESCO doit traiter de son programme en Sciences humaines, au forum MOST de Kuala Lumpur en mars 2017, où il faut absolument que nous soyons représentés, et il y a certainement d’autres dates à citer.

Nous pouvons maintenant nous mettre véritablement au travail !

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publié le 08/11/2016

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