Premiers enregistrements pour l’humanité de sa propre voix : Édouard-Léon Scott de Martinville
En 2008, des spécialistes du son font entendre une voix chantant Au clair de la lune en appliquant un logiciel informatique à l’image d’un enregistrement réalisé le 9 avril 1860. C’est la plus ancienne trace du son d’une voix humaine qui ait été préservée, de dix-sept ans antérieure au phonographe d’Edison.
Les premiers enregistrements sonores de la voix ont été effectués en France par l’inventeur Edouard Léon Scott de Martinville. Ces enregistrements sont précieusement conservés par les archives de plusieurs institutions françaises : la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (SEIN), l’Institut de France, l’Académie des sciences et l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).
I - « Photographier la parole »
Né à Paris en 1817, Édouard-Léon Scott de Martinville est un inventeur français. Jeune, il s’exerce à la sténographie. A cette époque, cette spécialité commence à offrir des débouchés rémunérateurs. Edouard-Léon Scott de Martinville porte alors un regard très critique sur les méthodes existantes. Constatant les insuffisances des principaux systèmes, il en dresse un inventaire en 1849. Il souligne notamment la difficulté de l’intervention humaine dans la rédaction des comptes rendus sténographiques et conteste la fidélité des transcriptions.
Il initie alors des travaux de recherche afin d’élaborer un mécanisme analogue de l’oreille, afin d’enregistrer automatiquement la parole. Après de nombreuses années de recherche et d’expérimentation, il parvient à créer le mécanisme du phonautographe qui consiste en effet à tracer sur le papier des courbes représentant les ondes sonores. Néanmoins, l’usage de cet appareil est dans un premier temps limité : il est impossible d’extraire un texte des tracés qu’il effectue, ni en écouter le son comme il l’espérait.
Ces enregistrements sonores ont été réalisés avec un appareil qu’il a appelé le phonautographe, et sont donc désignés comme des phonautogrammes.
Premier modèle du phonautographe (Scott, 1859)
Figure 24, dans Franz Josef Pisko, Die neueren Apparate der Akustik, Vienne, Gerold, 1865, pp. 71-73 : « Phonautographe à membrane de Scott et König »
II L’Invention du phonautographe.
Alors que Léon Scott travaille comme correcteur-typographe pour l’imprimerie Bachelier qui édite les Comptes rendus de l’Académie des sciences, il se prend à l’idée de « photographier la parole ». Il se documente donc et lit les bons auteurs – au rang desquels il faut compter Claude Pouillet, pour le cours qu’il professe au Conservatoire des arts et métiers. Il fréquente aussi, très vraisemblablement, le Collège de France où Victor Regnault occupe la chaire de physique.
Après quelques années d’apprentissage dans les domaines de l’acoustique et de la physiologie, cet autodidacte, qui a entrepris de patients travaux préliminaires, se sent sûr de son fait.
Il s’explique ainsi : « Comme précédents, j’avais devant moi […] le procédé de Wertheim pour écrire les vibrations d’un diapason ; le tour électromagnétique décrit par Pouillet pour le même objet. J’ai fait un pas de plus : j’écris non les seules vibrations du corps qui vibre primitivement, mais celles transmises médiatement, c’est-à-dire par l’air ambiant » • 11 E.-L. Scott, Principes de phonautographie, op. cit. note 10 ; id., Le problème de la parole…,op. cit. Note 1, pp. 31-32.
Le dispositif qu’il imagine se compose d’un pavillon relié à un diaphragme qui recueille les vibrations acoustiques, celles-ci étant transmises à un stylet qui les grave sur une feuille de papier enduite de noir de fumée enroulée autour d’un cylindre tournant.
Le procédé consiste à recueillir les vibrations acoustiques puis à retranscrire les ondes sonores sur une feuille de papier noircie par du noir de fumée, posée sur un cylindre et placée au bout d’un tube acoustique. Cette invention ne permet toutefois pas la restitution des sons enregistrés.
Le stylet vibre aussitôt qu’un son est produit dans le voisinage du paraboloïde, et il suffit de faire tourner la manivelle pour obtenir une ligne sinueuse qui représente les vibrations de l’air.
L’inscription une fois faite, on coupe le papier avec un canif suivant une des génératrices du cylindre et on fixe l’épreuve en la passant dans un bain d’alcool pur ou légèrement additionné de gomme laque."
Le résultat ne sera pas immédiatement reconnu en raison des difficultés à lire les phonautogrammes. Ce n’est que récemment que des spécialistes américains, Earl Cornell et Carl Haber, du Lawrence Berkeley National Laboratory (Etats-Unis), ont mis au point une technologie capable de lire les enregistrements d’Edouard-Léon Scott de Martinville, une douzaine au total, déposés à l’Académie des Sciences et à l’Institut de France.
Image
III - La reconnaissance du phonautographe
Après des premiers essais réussis d’enregistrements effectués en 1853 et 1854, desquels on a pu extraire, grâce à une analyse de la trace par ordinateur, le premier enregistrement du son d’une voix humaine reconnaissable, Scott de Martinville dépose le 25 mars 1857 le brevet du phonautographe, appareil qui enregistre le son.
Présenté souvent par la suite comme un précurseur du phonographe d’Edison, il ne peut toutefois restituer le son. En association avec le fabricant d’instruments de laboratoire Rudolf Kœnig qui l’aide à construire ses appareils, Scott de Martinville vend quelques dizaines de phonautographe à des laboratoires scientifiques qui s’en servent pour étudier les sons. Le phonautographe est aussi distribué à des établissements d’enseignement.
IV L’inscription du phonautographe au registreinternational de la Mémoire du monde
L’UNESCO a inscrit cette invention en septembre 2015 au registre international de la Mémoire du monde. Pour saluer la décision de l’UNESCO, la Commission d’Histoire de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, a organisé sous le patronage de la Commission nationale française pour l’UNESCO, du Programme Mémoire du monde de l’UNESCO, de l’Académie des sciences, et l’Institut National de la Propriété Industrielle, une cérémonie au cours de laquelle le certificat d’inscription au registre international de la Mémoire du Monde a été remis au représentant de l’Association for Recorded Sound Collections, First Sounds, à l’Académie des sciences et à la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale.
.